Les images communément associées à Lucifer ? Un être démoniaque rouge à cornes et à la queue pointue qui brandit sa fourche à la moindre occasion, la voix de la tentation maligne qui contredit l’action vertueuse que vous envisagez d’entreprendre, ou encore une entité redoutée garante de l’enfer. Satan, diable, démon : autant de noms que nous lui donnons, parfois à tort, décrient certains. Qui est Lucifer et quelle histoire se cache derrière cette figure qui en fait trembler plus d’un ?
« Déjà sur les crêtes du haut Ida se levait Lucifer, amenant le jour avec lui ; les Danéens tenaient assiégées les portes de la ville, et aucun espoir de secours ne restait. » Le poète latin Virgile, « Énéide »
L’étymologie de « Lucifer » a de quoi étonner puisque le nom vient du latin « lux » qui signifie « lumière » et « ferre », « porter ». Lucifer est donc le porteur de lumière. Au vue de cette signification, pas si étonnant que ce soit le nom donné dans l’Antiquité par les Romains à Vénus, cette planète baptisée « étoile du matin » étant le troisième objet le plus brillant qui soit dans le ciel, après le soleil et la lune. Par ailleurs, on retrouve ce nom dans la mythologie romaine pour désigner différentes déesses associées à la lumière : Aurore, chargée d’ouvrir les portes du ciel au char du soleil, Hécate, déesse de la lune, et Artémis, également liée à la lune.
Si la présence d’un être personnalisant le mal semble apparaître avec le monothéisme, le nom Lucifer est d’abord utilisé dans la bible latine (la Vulgate) pour traduire le « porteur de lumière » évoqué dans l’Ancien Testament. C’est également le nom initialement adopté pour désigner Jésus-Christ, « véritable porteur de lumière ». Dans son ouvrage « Le Diable – Mon nom est légion », l’historien Laurent Vissière explique que l’on a cessé d’appeler le Christ Lucifer à partir du moment où l’ange déchu du livre d’Isaïe (Ancien Testament) a été baptisé ainsi.
Dans l’Ancien Testament, Lucifer apparaît en effet comme un archange, être céleste puissant intermédiaire entre dieu et homme, déchu pour avoir défié dieu et ayant entraîné les autres anges rebelles dans sa chute. La tradition chrétienne l’a assimilé à Satan, incarnation du mal et de la tentation qui signifie « adversaire » en hébreu, avant de vouloir dire démon. L’écrivain Tertullien décrit Lucifer comme le « plus sage de tous les anges avant d'être le diable ».
Un ange déchu est un messager de dieu banni du paradis pour lui avoir désobéi ou s’être rebellé. Il existe une multitude d’hypothèses expliquant la chute de Lucifer et des anges rebelles : pour certains, c’est parce qu’ils ont eu des relations sexuelles avec des filles humaines ; pour d’autres, c’est parce qu’ils étaient jaloux des dons attribués aux hommes par Dieu, tandis que d’autres encore évoquent l’orgueil. Après la révolte, Lucifer devenu ennemi de dieu et de l’humanité aurait donc chuté pour devenir le démon Satan, tentateur qui propose aux humains de réaliser leur désir en échange de leur âme, d’où l’expression « vendre son âme au diable ». En grec, diable signifie « celui qui divise », « qui désunit » ou encore « qui détruit ». Dans son poème épique et religieux « La fin de Satan », Victor Hugo décrit ainsi la transformation de Lucifer :
« Tout à coup il se vit pousser d’horribles ailes ;
Il se vit devenir monstre, et que l’ange en lui
Mourait, et le rebelle en sentit quelque ennui.
Il laissa son épaule, autrefois lumineuse,
Frémir au froid hideux de l’aile membraneuse,
Et croisant ses deux bras, et relevant son front,
Ce bandit, comme s’il grandissait sous l’affront,
Seul dans ces profondeurs que la ruine encombre,
Regarda fixement la caverne de l’ombre. »
Le dualisme dieu / diable est en réalité un contresens car, dans le christianisme, il est impensable que dieu ait un adversaire à sa taille.
Rudolf Steiner, philosophe et penseur social fondateur de l’anthroposophie qu'il qualifie de « chemin de connaissance » visant à « restaurer le lien entre l'Homme et les mondes spirituels », évoque, lors d’une série de conférences, les deux principes démoniaques qui s’opposent à l’évolution de l’espèce humaines tout en la rendant possible : Lucifer et Ahriman. Ce dernier est rattaché à Satan, qui assujettit l’homme à la matière, tandis que Lucifer est associé aux activités intellectuelles et créatives. Pour Steiner, Lucifer et Satan sont donc deux figures distinctes.
C’est au début du 20e siècle que Sigmund Freud, médecin et neurologue autrichien fondateur de la psychanalyse, apporte une nouvelle dimension à la figure du diable. Il tente de revisiter scientifiquement des cas de possession issus de l’histoire en avançant que le diable est l’incarnation de pulsions érotiques refoulées. Il explique que le diable ou le démon représente la peur du père, et dieu l’influence protectrice.
Dans l’histoire et jusqu’à nos jours, le satanisme traditionnel est en quelque sorte l’inverse du catholicisme. Il voue un culte à Satan qui est honoré en tant que divinité. Satan est considéré comme Lucifer au sens étymologique du terme, c’est-à-dire qu’il est porteur de lumière. Les rituels du satanisme sont destinés à faire évoluer les fidèles spirituellement ainsi que le royaume de Satan.
Lucifer, tour à tour porteur de lumière, ange déchu ou manifestation de la peur du père ; qui eût cru qu’il y aurait de quoi « dédiaboliser » le diable ?
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